Livre de Aldous Huxley
On constate que le modernisme mène inexorablement à un monde où tout ce qui est
dit se saura, tous les lieux où l’on va seront connus, tout pourra être contrôlé
dans des zones franches, tous les témoins qui ne seront pas au vert seront
signalés, tout sera assisté, on ne pourra empêcher les autorités de tout savoir
sur tout, enfin de le croire. On ne pourra pas empêcher les outils de nous
piloter toute la journée. Donc d'avoir un monde complètement procédural,
complètement interactif, complètement thérapeutique, anesthésiant, qui prévoit
tout ce qu'on va faire, ce dont on a besoin, envie. Enfin ce qu’on osera dire,
ce qu’on osera se permettre, sombrement en-deçà des pressions intestinales. On
se leurrera par des modes et des cultures, des techniques, des robots, des
infos, des transactions interactives, bien tatillonnes, bien inutiles, bien
futiles, bien prenantes, qui recréent des besoins.
Rappelons que le capitalisme, c'est le monde moderne amené à une liberté
d'entreprise sauvage, qui doit être contrôlée. Et quand le contrôle est par-delà
le contrôle impossible, cela n'enlève en rien le contrôle indispensable comme on
dit si bien dans le film Interstellar.
C'est le sujet du livre « Le meilleur des mondes », qui extrapole des tendances
déjà entamées dans notre monde actuel. Leurs outils n’ont pas de nouveaux
faire-valoir autres que celui d'être dans la pile des outils de maintien de la
société par des automatismes, et bien que ne devant pas plaire dare-dare car ils
s’en trouvent à un pôle extrême, le pôle de la maitrise maximum par un genre de
thérapie industrielle irrespectueuse, cette thérapie les formate à aimer le
formatage, et de plus elle se le cache jusqu’à ne plus s’en apercevoir.
Ce livre présente un monde totalement contrôlé, méthodiquement maintenu dans une
stabilité, dans une anti-agressivité sans paradoxes gérés, sans prévenance
gérée, sans souplesse gérée, sans disposition à la supposition, à la
prédisposition, à l'improbabilité, sans diversité gérée, mais par contre sans
propos visés par les autorités. Un futur dans cette vision qui cherche à
promouvoir techniquement l'inégalité, jusque même recréée artificiellement à la
naissance.
Pour autant, c'est plutôt du communisme, et pour parler d'artificialité, c'est
aussi une nature soumise et contrôlée. Ces gens sont dans la gentillesse et
l'allégresse la plus pure, ils ont annihilé ce système de contrôle de soi qu'est
la négation et la revendication, ainsi que la vraie critique. Le livre a surtout
pour but de mettre en évidence que les tendances actuelles liberticides
n'auraient pas de sens si on les faisait aboutir à leur plénitude. Beaucoup de
faits ne sont pas plus crédibles que réalisables dans la réalité, mais sont
intéressants comme exposition de thèse.
Ce sujet est à rapprocher d’une série où les gens vivent en vase clos et sont
tués toujours au même âge pour obtenir des renouvellements de populations
judiciairement égalitaires, mais aussi éliminer d’un coup de balai le problème
des retraites (l’âge de Cristal). Il existe aussi un livre (Reproduction
Interdite de Jean-Michel Truong) et un film où des gens vivent en vase clos pour
être donneurs de membres, en laissant croire que dans ces usines, les membres
poussent démembrés.
On remarque qu'on accepte d'un même élan de solidarité critique, scandalisé et
antirévolutionnaire les outils qui créent des inégalités, des égalités ou les
deux à la fois. On s’y perd et c’est à cause de la méthode d’expression critique
qu’on s’y perd. Ce qui choque, ce ne sont pas les faits, c'est plus abstrait,
plus spirituel, plus personnel, plus une sécurité qu’une vérité, plutôt un mode
d’alerte qu’une alerte, comme quoi on ne peut pas juger une alerte sur sa
sincérité, sur le ressenti.
L’alerte à tout va c’est le libre cours au forçage, par la force, ou l'astuce,
ou l'enculade. C’est aussi tomber et retomber à jamais dans l’alerte à jamais
va. C'est un autre mode de l'irrespect, l'absence d’écoute, de compréhension,
d’assentiment, ou sinon de désir. Une autre culture soi-disant. En écoutant un
peu parler le futur, qu’on peut entendre dans les œuvres d’anticipation. Autant
réagir tant que cela reste indispensable.
Frédéric Decréquy, version 1 du 27 mai 2017